Rencontre : ANNE-DOMINIQUE GROSVERNIER

Donner des bases solides aux enfants à travers un cadre éducatif sécurisant

Publié le 3 décembre 2015

Anne-Dominique Grosvernier, psychopédagogue de nationalité suisse, a consacré la première quinzaine de ce mois à une série de conférences tournant autour du rapport parents/enfants dans le cadre de la campagne « Aimer Généreusement » de l’Église Presbytérienne de Maurice. Elle nous a livré la lecture qu’elle fait de ce rapport. La praticienne suisse a été active en institutions et sur le terrain pendant plus de trente ans.

« Cette campagne de l’Église presbytérienne est intéressante et très utile », dit-elle d’emblée. « Elle souligne bien qu’il est impossible de vivre sans amour : amour des autres, amour de soi, mais aussi amour de Dieu ; cette dimension spirituelle, quelle que soit la religion, est importante dans la vie de toute personne, elle permet de donner un sens à la vie. » Les conférences étant publiques, cette campagne permet d’enrichir les discussions et de placer les parents dans la même position que leurs enfants : à l’école, les enfants sont en effet mélangés et découvrent les autres cultures et religions.

La psychopédagogue pense que la relation parents/enfants est fondamentale pour donner des bases solides aux enfants pour qu’ils puissent acquérir les « outils » qui leur permettront de vivre dans ce monde. Il est important que les parents mettent en place un cadre éducatif solide et sécurisant dès la plus jeune enfance, afin que les enfants puissent développer une bonne estime d’eux-mêmes ainsi qu’une confiance en eux, qui leur permettront ensuite de devenir autonomes et de prendre des décisions saines et réfléchies dès l’adolescence.

« L’éducation sans soucis n’existe pas », clame Anne-Dominique Grosvernier. Élever des enfants est une source de joie, mais également une source de stress, tout particulièrement lors des phases d’opposition qui peuvent entraîner des difficultés relationnelles familiales, sociales et/ou avoir un retentissement scolaire. Mais il ne faut pas dramatiser. « L’opposition est un signe de bonne santé, mais l’enfant doit apprendre à l’exprimer de manière socialement acceptable. » Toutefois, aimer son enfant, ce n’est pas toujours lui dire « oui », c’est aussi lui dire parfois « non » pour qu’il sente que ses parents se soucient de lui et ne le laisseront pas se mettre en danger.

Colères des enfants
« Nous avions choisi le thème de la colère des enfants car on dit de cette émotion qu’elle est « mal aimée ». C’est vrai que pour les parents, devoir faire face à un enfant ou un adolescent en colère n’est pas très agréable, remet en questions, et prend beaucoup d’énergie », dit la psychopédagogue. Et pourtant, c’est une émotion fondamentale qui permet à l’enfant de grandir et à l’adolescent de ressentir que ses parents ne démissionnent pas devant les difficultés.

« La colère, bien exprimée, est une émotion saine qui donne de l’énergie et permet de faire des apprentissages, c’est un moteur qui permet de se surpasser ». Pour devenir un adulte autonome qui saura trouver sa place au sein de la société, l’enfant devra, certes, utiliser l’expérience de ses parents, mais aussi faire les siennes propres. Quand il s’oppose, il cherche à montrer qu’il a une personnalité et qu’il peut se détacher de ses parents. Si ce désir de liberté (qui doit être canalisé) n’existait pas, l’enfant ne pourrait pas accéder à l’indépendance. Le but dans l’éducation n’est donc pas de supprimer l’expression de la colère, mais d’apprendre aux enfants à l’exprimer correctement, en fonction des normes sociales de la famille et de la société dans laquelle ils vivent.
« Ce qui reste le plus important est de pouvoir gérer les colères des enfants et des adolescents sans blesser leur estime d’eux-mêmes », insiste Anne-Dominique Grosvernier. Ils ont en effet besoin de pouvoir construire une confiance en eux pour pouvoir ensuite affronter la vie et ses aléas. Il s’agit donc pour les parents de frustrer, mais pas de blesser, ni physiquement, ni psychologiquement. Face à la colère d’un enfant, ou à la transgression d’une règle, les parents peuvent se demander d’abord si leurs consignes étaient claires et précises (dire à un enfant « tu dois être gentil » est beaucoup trop vague et ne précise pas ce qu’on attend de lui) ; ils mentionneront ensuite le comportement qui est inacceptable et établiront une sanction en lien avec celui-ci.

Communication ininterrompue
Il est important de ne pas critiquer la personne de l’enfant globalement (« tu es maladroit, tu es un vaurien… ») car cette attitude pourrait faire croire à l’enfant qu’il ne vaut rien, le blesserait dans son estime de lui-même et encouragerait ainsi les comportements déviants. La sanction doit être en lien avec le comportement inacceptable et permettre une réparation. « Il n’est donc pas question d’humilier ou de blesser, mais de frustrer pour encourager un apprentissage ».

Il est finalement primordial que les parents ne coupent pas la communication avec leur enfant si celui-ci est en colère. Au contraire, c’est en dialoguant avec leur enfant qu’ils lui apprendront ce qu’ils attendent de lui, et c’est en l’écoutant qu’ils comprendront le malaise que vit l’enfant ; c’est également grâce au dialogue et à l’attitude constructive de ses parents que l’enfant apprendra que toute situation difficile a des solutions, même si parfois elles demandent des efforts et de la persévérance.

Par la loi, les parents sont responsables de leurs enfants. Ils doivent faire preuve d’autorité pour les éduquer. « En fait, l’autorité est nécessaire, c’est une force positive qui élève, qui enrichit, qui favorise l’apprentissage chez un débutant. C’est une force qui signale une expérience de la vie, qui demande des compétences, et qui possède des qualités utiles. Quand elle est bien pratiquée, l’autorité est donc quelque chose de très positif et nécessaire ». La conférencière soutient qu’il y a trois manières d’exercer son autorité, de montrer à son enfant qu’on commande :

– par la force brute : c’est une force qui s’exerce du plus fort sur le plus faible ; elle débouche sur l’exploitation, la menace, la peur, et non sur la liberté, l’autonomie. Elle encourage le mensonge et la tricherie. C’est donc une attitude à éviter chez les humains.

– en vertu de la loi : dans la loi, les humains se sont mis d’accord pour dire qu’il y a des règles à respecter. Les parents sont responsables de leurs enfants, et sont responsables de leur éducation. Ils doivent assumer ce rôle.

– par l’estime qu’on suscite : cette autorité-là dépend des qualités de la personne, elle est liée à son charisme, à ce qui rayonne de la personne. Mais elle dépend aussi des compétences de la personne et de comment elle se sent dans son rôle de parent, comment elle l’imagine, quelles valeurs elle a envie de communiquer. La façon dont le parent a été éduqué lui-même influence aussi l’autorité qu’il aura vis-à-vis de ses enfants.
C’est donc en vertu de la loi que les parents sont légitimés dans leur rôle, et c’est par l’estime qu’ils suscitent qu’ils encourageront leurs enfants à leur obéir.

Vision commune et cohérente
« Il est nécessaire que les deux parents aient une vision commune pour l’éducation de leur enfant tout en étant complémentaires en fonction de leur tempérament », poursuit la conférencière. La cohérence est fondamentale en éducation. Ainsi, le respect des parents entre eux, de même que leur respect des règles qu’ils imposent à l’enfant est fondamental. L’enfant a aussi besoin de voir que ses parents prennent soin d’eux-mêmes pour être sûr qu’ils prendront soin de lui.

Les réactions du parent ou de l’enseignant doivent toujours être dans un but d’apprentissage pour l’enfant, et non pour le détruire ou lui faire du mal. Il est donc important que les adultes qui gravitent autour de l’enfant (parents, grands-parents, enseignants, etc.) soient solidaires et se respectent. Ceci permet à l’enfant de sentir qu’il y a une structure solide et sécurisante autour de lui. Il apprend également qu’il peut y avoir des règles et des valeurs différentes selon les endroits et les personnes ; il apprend alors à respecter ces règles et valeurs, et au moment de l’adolescence, il pourra choisir les règles et valeurs qui l’enrichissent le plus et qui lui sont le plus utiles.

Les parents doivent mettre en place un cadre éducatif, c’est-à-dire fixer des valeurs, des règles et des limites qu’ils apprendront à leur enfant et qu’ils lui feront respecter. Se positionner face à son enfant lorsqu’il dépasse une limite ou ne respecte pas une règle est fondamental ; l’enfant ressent ainsi qu’il a de l’importance pour ses parents. Les parents veilleront à le sanctionner sans le blesser dans son estime de lui-même, mais en lui permettant d’expérimenter la frustration afin qu’il apprenne qu’il a des forces en lui pour solutionner les situations difficiles.

« Le rôle des parents est aussi de beaucoup communiquer, d’encourager, de valoriser le positif et de vivre des bons moments avec leurs enfants ; l’enfant apprend davantage par les encouragements et les moments de bonheur que par les interdits », observe Anne-Dominique Grosvernier. Mais attention : sans limites, l’enfant est désécurisé.

Carte de visite
Anne-Dominique Grosvernier est bardée de diplômes comme l’indique sa carte de visite – Licence en psychologie à l’université de Genève (1983) ; Diplôme de spécialisation en pédagogie à l’université de Genève (1985) ; Certificat de catéchète bénévole pour enfants et adolescents (1999 et 2000) ; Brevet fédéral de Formatrice d’adultes (2010) ; Certificate of Advanced Studies HES-SO de praticienne formatrice (2010) ; Diverses formations continues en catéchèse, études bibliques et théologiques, éducation, prévention des abus sexuels, prévention du suicide, gestion des émotions, communication et supervision.
Source : Le Mauricien